La Non-Dualité Tantrique : Unité Intérieure et Liberté Incarnée

Aujourd’hui, la notion de non-dualité est souvent évoquée dans des contextes relationnels ou sexuels, souvent avec confusion, rarement avec justesse. Le Tantra traditionnel, quant à lui, invite à un renversement radical : l’unité ne se cherche pas à travers l’autre, elle se reconnaît en soi, dans l’expérience directe du réel — jusqu’au cœur même de l’acte sexuel, mais jamais au détriment de l’autre.

1.  La non-dualité comme reconnaissance, non comme fusion

Dans les textes tantriques anciens, notamment le Vijñāna Bhairava Tantra, la non-dualité est un état de présence totale dans lequel le sujet cesse de se saisir du monde. Cette expérience ne se produit pas dans une volonté de fusion avec l’autre, mais dans une intensification de l’instant vécu, jusqu’à ce que toute séparation entre sujet et objet se dissolve. L’autre n’est pas moyen d’éveil, mais miroir dans lequel la conscience peut se révéler… si elle ne se saisit pas, ne justifie pas ou impose une direction à l’autre.

2. L’union tantrique : corps, souffle et Dieu

Le Vijñāna Bhairava Tantra consacre plusieurs śloka à l’expérience de l’orgasme ou de la douleur… comme seuil vers l’infini. L’union charnelle, vécue dans une attention sans saisie, peut révéler Śiva — non parce qu’elle serait fusion, mais parce que l’union devient pure intensité d’être. Cela suppose deux partenaires engagés sur un chemin intérieur de libération, un rapport sans attente ni besoin, une maîtrise du feu intérieur, qui ne confond pas désir sensuel et désir de connaissance de soi.

3.  Les dérives : spiritualisation du désir et justification égotique

Nombre de dérives contemporaines naissent lorsque la relation devient justification. L’acte tantrique véritable commence quand l’autre est libéré de toute fonction pour soi et que je n’ai aucune possibilité de révéler à l’autre cette voie par mon action personnelle.

4.  Le paradoxe tantrique : libération dans l’altérité

C’est paradoxalement en se libérant de l’attrait sensuel de l’autre que cette rencontre avec Dieu peut arriver aussi dans l’altérité sexuelle. Ce renoncement n’est pas une frustration : c’est une ouverture plus grande. On ne cherche plus à obtenir quelque chose de l’autre, mais à vivre Dieu à travers la forme de l’autre, sans rien saisir, sans rien rejeter.

5.  Pratiques quotidiennes pour marcher sur la voie non-duelle

·        Respiration consciente dans le silence : Assieds-toi. Respire sans contrôler. Observe le souffle comme un mystère.

·        Toucher sans intention : Pose ta main sur ton cœur ou celui d’un·e partenaire. Ne fais rien. Observe.

·        Orgasmic presence : Dans l’orgasme, garde une partie de ta conscience éveillée. Sois tout entier dans l’instant.

·        Voir Dieu dans ce qui te dérange : Quand une émotion monte, dis-toi : « Ceci aussi est Śiva. »

·        Offrir au lieu de prendre : Dans chaque interaction, demande-toi : suis-je en train de prendre ou d’offrir ?

6. Phrases dangereuses à reconnaître

Certaines phrases, souvent présentées sous couvert de non-dualité, peuvent masquer une tentative de manipulation ou de transgression non consentie. Voici quelques exemples à reconnaître et à questionner profondément :

·        « Tu devrais faire ceci ou cela avec moi pour être connecté au divin. »

·        « Si tu refuses, c’est ton ego qui résiste à l’unité. »

·        « Le consentement est une illusion dans la non-dualité. »

·        « Ce n’est pas toi qui agis, c’est l’univers qui le veut à travers moi. »

Ces affirmations peuvent être des signaux d’alerte. Une véritable voie tantrique ne cherche jamais à convaincre, imposer ou forcer. Elle respecte la souveraineté de l’autre, y compris dans ses refus. L’éthique précède toujours l’expérience.

7. Intégration psychocorporelle : un engagement essentiel

La voie non-duelle ne peut être pleinement intégrée sans un engagement profond dans un travail de connaissance de soi. Nos blessures affectives, nos traumatismes passés ou nos schémas inconscients non résolus peuvent déformer notre rapport à la spiritualité et conduire à des dérives, à la confusion, ou à des formes de 'bypass spirituel' où l'on cherche à fuir la souffrance au lieu de la transformer.

S’engager dans une thérapie — notamment corporelle, somatique, ou analytique — permet de réintégrer des parts refoulées de soi, de comprendre ses mécanismes de défense, et de construire une base intérieure stable et mature à partir de laquelle la non-dualité peut s’expérimenter sans dissociation ni confusion.

-        Clarifier les motivations de sa quête spirituelle.

-        Apprendre à poser des limites saines dans les relations.

-        Transformer les blessures en ressources de présence.

-        Distinguer les mouvements authentiques de l’être de ceux dictés par des conditionnements ou des manques affectifs.

-        Habiter son corps comme un lieu sacré, non comme un objet de dépassement.

Quand nous avons réalisé ce travail en thérapie, l’expérience de l’unité intérieur peut inclure l’expérience corporelle extatique dans la rencontre de l’altérité sans enjeu particulier mais avec simplicité et dans une écoute profonde de soi et de l’autre.

Conclusion

La non-dualité tantrique est une voie de raffinement, pas de fusion confuse. Elle s’expérimente dans la solitude vivante du cœur, parfois dans le regard de l’autre, mais jamais à travers lui.

Ce chemin est exigeant : il nous dépouille de nos projections, de nos désirs, de nos rôles spirituels. Il nous rend à l’immédiateté nue du réel, là où la Conscience se reconnaît elle-même dans l’acte le plus simple — le souffle, la caresse, le silence.

Raphael 2025

Shiva - Shakti